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Suzan Scott, The staircase (L’escalier), 1993
Susan Scott vit à Montréal et enseigne la peinture à l’université Concordia depuis 1984. De Blindman’s Buff à The Dreamers, son œuvre se développe sur une longue durée, le plus souvent par cycle et par série. Déployant une structure narrative, marquée par le cinéma dont elle rompt le principe de linéarité pour l’expression d’une action qui semble figée dans un espace-temps, sa peinture s’apparente aux univers suspendus d’Edward Hopper, jusque dans l’anonymat des visages paraissant éprouver la pesanteur d’une temporalité sourde et infinie.
Occupées d’enfants dont les attitudes suggèrent souvent des conspirations ambiguës, les œuvres de Susan Scott mettent en scène plus singulièrement la thématique du jeu et ses variations perverses. Dans l’interstice d’une réversion où le jeu confine à la cruauté, le rêve à la réalité, l’artiste marque particulièrement « l’effet des genres inversés » : elle attribue à des personnages masculins le genre féminin et illustre les accents d’une perversité polymorphe de l’enfant (dont parle Sigmund Freud), enclin à jouer tous les rôles, du bourreau à la victime.
Dans un cadrage en contre-plongée, légèrement oblique, visant en gros plan une adolescente et isolant les autres personnages dans le fond de l’espace, The Staircase met en scène comme en une action arrêtée les thèmes récurrents de l’artiste : exclusion, complot ou meurtre, celui-là même qui vient d’être commis à l’étage d’une maison bourgeoise et dont la peinture ne prend en charge que l’instant suivant. Ce véritable hors champ de la peinture s’accompagne d’un traitement plastique au clair-obscur tranchant et au rouge strident, dont l’expression gestuelle redouble l’idée de mouvement pourtant arrêté des personnages. La rupture du récit fige la scène dans un étrange vertige rendant indécidable tout lien de causalité narratif.
L’histoire y est parcellaire et énigmatique, impliquant pleinement une subjectivité participative du spectateur.
The staircase (L’escalier)
de la serie “The dreamer” (la rêveuse). Le narratif tiré du texte “the book of J” de David Rosenberg et Harold Bloom (une relecture féministe de l’Ancien Testament) est une interprétation du récit de Joseph et ses frères où Joseph se transforme en Joséphine.
Huile sur toile, 140 x 114,5 x 4,5 cm, 1993